La clé s'engloutit dans la serrure qui l'avale goûlument. Elle tourne en elle, ça craque à l'intérieur, un soupir, gémissement, la porte s'ouvre sur la jouissance simultanée. Mes jambes trop lourdes traîne cette épave à l'intérieur, je la regarde dans le petit miroir ovale, je devrais changer de tête, j'aurais peut-être l'air moins mort, cela pourrait me rapprocher de la vie. Une odeur traîne dans l'appartement, arôme de tabac froid et de bière régurgitée. Je la cherche des yeux, son corps doit être laissé quelque part entre le salon et la chambre, pas de doute, elle ne peut pas s'être enfuie, elle ne peut pas me laisser tomber, pas maintenant que tout est décidé. Mes pas me font frémir, je ne m'écoute pas marcher mais j'entends, je me retourne chaque fois comme si j'étais suivi, j'espère simplement que ce soit mon âme qui ne soit pas trop loin. Juste lui prendre la main, me dire que rien de tout cela n'est vrai, que je me réveillerai demain matin et que je ne serai pas celui que je suis devenu, que je serai peut-être fier de moi et que j'oserai me regarder dans les miroirs des salles d'essayages de l'Eden. Mais où est-elle encore passé avec sa dépouille? Là, dans la cuisine, sur la table, les jambes croisés, les yeux qui vibrent et les pupilles qui disparaissent, tout va trop vite, tout s'embrouille, on n'y voit plus rien. On dirait que quelqu'un derrière sa cavité cranienne s'amuse à lui brasser les prunelles comme un shaker.
- Caroline, c'est pas le temps... Lèves-toi sur tes deux pattes s'il te plait, fais un effort...
Mais de s'efforcer à quoique ce soit pour moi n'est pas son fort et elle ne m'écoute pas, c'est la routine, de ne pas nous écouter. Sur les murs il y a des taches de vin, on dirait du sang éclaté. La terre tourne au loin mais elle nous a oublié, j'aimerais bien attraper le prochain train qui nous y conduira pour rattraper le temps que nous sommes en train de perdre.
- Caro, tu joues à quoi encore?
Ses mains sont froides. L'air aussi, le chat aussi. Son corps est inerte. L'air aussi, le chat aussi. Son regard est fixe. L'air aussi, le chat aussi. Des soubresauts la secoue. Je ne me soucis plus ni de l'air qui devient manquant, asphyxie. Ni du chat qui s'est jetté aux trousses d'une araignée perdue entre les rideaux. La comédie n'a jamais été son fort, elle a raté tous ses rôles, on l'applaudissait par pitié. Elle a été la cause du foirage de mes pièces de théâtre. J'aurais aimé revêtir le chapeau de Molière et tenir sa plume, mais elle abattait les scènes que j'avais mis tant de peine et de misère à étendre sur papier à coup de carabine. Des bruits sourds chaque fois que son manque de talent appuyait sur la gachette pour tirer sur mes mots et ce qui aurait dû normalement faire trembler et frémir toute l'asistance. La faire vibrer encore plus qu'une foule sur le dancefloor, encore plus que des bras en manquent d'héro, encore plus que le corps de Caroline.
- Je suis désolé ma belle mais je n'ais pas d'autre choix que de te tirer de ton sale coma même s'il semble plus agréable que l'existance dans laquelle tu risque de te retrouvée. Désolé, vraiment...
Je le faisais par jalousie. Oui. J'aurais aimé être à sa place, étendu là, de travers, entre le vieux frigo et le four encore allumé qui nous faisait cuire comme de la vulgaire viande acheté au supermarché après s'être fait arraché d'un corps éteint de boeuf ou de chevreuil, comme on se fait arracher à sa propre liberté une fois qu'on débarque dans son corps d'adulte. J'ai posé ma bouche sur la sienne et j'ai soufflé. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Sept. Huit. Neuf. Dix. Onze. Douze. Treize. Quatorze. Quinze. Seize? Non. Je souffle encore, son ventre monte sous ma main mais il ne se passe rien. De la peau froide sous ma paume couverte d'encre bleu nuit. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Sept. Huit.
- Caroline, pour une fois que tu joue bien la comédie et que ce n'est pas le temps...
Neuf. Dix. Onze. Douze. Treize. Quatorze. Quinze. Ma bouche encore, son ventre encore, tout se répète, mais pas la vie. Elle est partie. Elle s'est enfuie. Elle a pris son souffle et son électricité à son coup au lieu de prendre ses jambes. Elle a due avoir peur quand elle nous a vu, nous et nos idéaux de liberté provisoire. Notre quartier est une prison à adultère et à hurlements. Une prison de riches écervelés sans autre fond que celui de la bouteille de vodka. Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Sept. Elle s'étouffe. Dieu merci, la revoilà, avec son regard fixe et ses jolis iris pervenches. Je ne crois pas en sa Sainteté, mais aujourd'hui je lui laisse une chance d'exister entre deux utopies.
- T'étais où?
Elle me jette ces mots. Je n'oses pas plonger mes yeux dans les siens. Ce n'est pas le temps, pas maintenant. Ce n'est jamais le temps de toute manière, puisque ce dernier file trop vite et nous force à agir quand il est trop tard.
- Nulle part. Je suis là maintenant, c'est ce qui compte...
Mais elle n'y croit pas. De toute manière, il n'y a plus rien dans lequel on puisse encore jetter un voile d'espoir. J'aimerais embrasser ses paupières closes, lui dire que tout ira, lui murmurer des mots doux, des mots d'amour, prendre sa main et l'ammener manger une tarte aux bleuets en buvant un thé, l'entraîner au cinéma pour regarder un de ces vieux films Français trop long pour avoir pour la première fois le temps de la regarder, la regarder rire, pleurer, prendre ses doigts entre les miens, la laisser poser sa tête sur mon épaule, l'emmener au lac , la regarder nager, passer ma langue sur sa peau trempée, embrasser son nombril et la regarder droit dans les yeux.
- J'étais partit chercher des fleurs, acheter des billets d'avion. On va partir, on va vivre, on va s'écouter respirer et compter les battements de nos coeurs. On va pouvoir se regarder encore et encore, se noyer dans nos regards et plonger dans nos rêves. On dira les mêmes mots plusieurs fois, surtout trois petits mots que mon coeur idéalise tant. J'étais partit t'écrire un poème, toute la nuit, assis sur un banc de parc, pour te le réciter entre deux coups de hanches sur ton si joli corps. J'étais partir ceuillir des mots pour t'emmener toucher les étoiles, découvrir les cieux, pour te faire rêver un instant et que tu les vives tes si belles envies. J'étais partit pour mieux revenir et nous sortir de tout cela, de toute cette superficialité. On va arrêter de faire des fêtes, ma Caroline, ma douce Caroline, on ne verra plus ces gens, on ne portera plus de masques on ne sortira plus en boite de nuit pour faire semblant d'être des gens. On sera quelqu'un ensemble, et tu ne dois pas avoir peur car je tiendrai ta main.
Ses yeux ont pleurés longtemps. Ses lèvres ont tellement tremblés que la terre semblait vibrer avec elles. Sur toute cette eau salé qui ruisselait sur ses joues j'ai cru un instant qu'il était encore possible d'y croire. Et que peut-être si elle ne s'était pas retrouvé étendue sur cet inconnu je lui aurais dit tous ces mots. Mais elle pleurait. Elle pleurait car elle savait qu'elle nous avait encore une fois entraîner dans ce trou noir, béant, qui dévorait tout ce que nous aurions pu être. Ces mots-là si heureux que je ne lui ais pas dit. J'aurais aimé revenir et me rencontrer en la retrouvant. Mais elle savait. Et il était temps. Elle posa sa main dans la mienne, je la redressai, elle se recoiffa, je partis quelque part injecter des rêves dans l'encre vermeil qui coulait dans mes veines. Une autre pièce de théâtre que j'avais écrit durant la nuit, sur notre histoire qui prendrait enfin pied dans la vie pris son envol sans nous, par la fenêtre rester grande ouverte. La porte se referma derrière nous, sur cet appartement qui nous appartenait tout en nous étant aussi anodin que l'individu rester allongé sur la table de cuisine. Le coin de la rue approchait, nous allions le tourner et rentrer là-dedans, dans cet autre boite pour y passer une dernière nuit. C'était ce soir, c'était le temps des adieux et non pas celui des aurevoirs.
Je l'embrassai une dernière fois. La vie me faisait traîner les pieds. Je serrai le noeud de cravate, remontai mes lunettes au fond sur mon nez. Caroline s'engouffra dans la foule et je ne la reverrais plus, plus jamais. Car il faut une morale à tout, même à la vie qui ne mérite pas d'en être une. Une larme se laissa attraper par le revers de ma main, ce soir j'écrirais un drame, un long monologue qu'elle ne jouerait pas, qui serait peut-être un succès. J'aurai peut-être au moins réussi quelque chose si quelque part un jour à une des représentations elle se trouverait assise dans la salle, car elle serait la seule qui l'entendrait. La seule en qui mes mots résonneraient. Mes yeux fatigués regardèrent autour de moi, je fis ma révérence seul et repartit chercher un endroit pour écrire. Je ne dormirais pas jusqu'à ce que tout soit fait. Car sans elle, même la nuit ne voulait plus de moi.